RUISSEAU sans frontières
- Détails
- NATURE
- Publication : 24 septembre 2019
- Par Julie Turgeon
PHOTOS LE JOURNAL D’OUTREMONT
Sur le mont Royal et dans ses environs, coule encore à l’état naturel le ruisseau d’Outremont. Un cours d’eau tortueux, pittoresque, champêtre. Comme une impression de campagne à la ville. Mais sa beauté comporte aussi des facettes inédites, a constaté le Journal d’Outremont lors d’une balade exploratoire.
Départ à la source
On commence la promenade au 1297 chemin de la Forêt. À quelques mètres de l’entrée du Cimetière Mont-Royal, surgit le ruisseau d’Outremont, prenant sa source dans les mystérieuses profondeurs de la montagne. Dans son lit de roches, il traverse un terrain gazonné, puis chemine jusqu’à l’orée d’un bosquet.
Le docteur McCulloch, à qui appartenait la propriété du cimetière avant sa fondation en 1852, avait par ailleurs appelé sa ferme « Spring Grove » à l’époque. « Sans doute à cause du ruisseau », indiquera plus tard, la directrice des programmes du patrimoine au Cimetière Mont-Royal, Myriam Cloutier.
Une fois dans les bois, le murmure du ruisseau accompagne un oiseau chanteur: un Moqueur chat, selon toute vraisemblance. Il s’abreuve et rafraîchit ses plumes grises. Quoique le cimetière soit « fréquenté par plus de 145 espèces d’oiseaux », il fait cavalier seul, aujourd’hui.
Et puis bientôt, c’est le cimetière des Espagnols et des Portugais de confession juive - Shearith Israel. Et le ruisseau disparait (avec son charme) dans un trou de canalisation grillagé, plein de vieilles branches.
On le reverra plus loin, au fond du petit parc Oakwood, avenue Roskilde. Avec son petit pont en arche, l’ambiance y est bucolique. Mais rien à voir avec ce que l’on peut entrevoir derrière la clôture, sur les terrains voisins.
Du côté privé
C’est ça qui nous a fait acheter la propriété il y a 44 ans ! Voilà ce que nous répond Janine Hébert Lagarde, une résidante de l’avenue Maplewood, lorsqu’on lui demande ses impressions sur le ruisseau passant dans sa cour arrière. Mme Hébert Lagarde fait partie de cette poignée d’Outremontais chez qui le ruisseau serpente. « Chaque printemps, depuis deux ans, je suis obligée d’aller à la Ville, parce qu’à un moment donné, il n’y a plus d’eau », signale-t-elle. « Il y a des feuilles qui se ramassent et ça bloque au croisement de l’avenue Springgrove et du Chemin de la Forêt. Nous sommes parfois trois semaines sans eau. »
Or, « il y a de l’eau à l’année », normalement. « Même l’hiver, c’est rare que ça gèle; il y a tout le temps un petit courant », raconte-t-elle, avant d’expliquer avec enthousiasme son aménagement paysager, depuis son arrivée, en 1975.
« Le ruisseau n’était pas large comme ça au début », dit-elle. « Il y avait juste une planche qui passait au-dessus. Alors moi j’ai fait faire un petit pont, puis on a fait agrandir le cours d’eau et on a fait une butte à l’arrière pour faire une jolie cascade. Elle fonctionne. Allez voir ! »
La chute d’eau écumeuse dévalant de pierre en pierre et la mare d’eau toute fraîche à nos pieds, donne l’impression d’être quelque part à l’état sauvage. Une clôture en plus et les moustiques en moins.
À flanc de montagne
Le projet « Maisons Outre¬mont », chemin de la Côte Sainte-Catherine, où coule également le ruisseau d’Outremont, était en plein chantier au moment de notre visite. Florent Moser, président de Demonfort, le promoteur immobilier qui transforme l’ancienne maison mère des Sœurs missionnaires de l’Immaculée-Conception en condos, confirme toutefois que le ruisseau « était vraiment un élément important du développement du terrain. » Même qu’au début du projet, l’équipe cherchait « une manière de remettre le ruisseau un peu plus accessible à tous », raconte-t-il en entrevue avec le Journal d’Outremont.
« J’avais proposé au comité mixte de la Ville de Montréal, de faire passer le ruisseau devant notre projet, le long de la Côte du Vésinet, pour ensuite l’amener jusqu’à l’avenue Laurier. Je me disais que cela serait super parce que moi, je suis d’origine suisse, puis en Suisse, ce n’est pas rare de voir un ruisseau sur une rue. Mais la Ville n’avait pas vraiment d’intérêt, je pense. Ils trouvaient ça un peu trop compliqué et on nous a dit: non, vous êtes mieux de le garder où il est. »
Selon M. Moser, le tracé visible du ruisseau sur le terrain « sera quand même assez long, 60 mètres environ ». Une portion du ruisseau, tel qu’il était à l’époque, sera conservée ( avec des murets en pierre ). Puis il sera finalement acheminé vers un bassin trônant dans la cour intérieure. « Les gens marchant sur la Côte du Vésinet pourront toutefois le voir du trottoir » , laisse entendre l’entrepreneur.
Faits intéressants
Le Journal d’Outremont a pris connaissance de l’étude patrimoniale réalisée par Mario Brodeur, architecte et chargé de projet, pour la firme Demonfort. On y apprend notamment que le ruisseau d’Outremont « dévalant le piémont, alimentait autrefois un abreuvoir pour les chevaux et formait plus loin une mare qui est à l’origine du bassin du parc Outremont. »
Or, « le ruisseau alimente encore un étang dans le cimetière Mont-Royal, de même que les bassins du parc Outremont et du parc Saint-Viateur », peut-on lire dans l’Analyse paysagère de l’arrondissement historique et naturel du Mont-Royal, réalisée par la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, en 2010. Le ruisseau d’Outremont pourrait-il revoir la lumière du jour?
C’est ce qu’espère Sophie Paradis, directrice pour le Québec du Fonds mondial pour la nature (WWF-Canada), avec son projet Bleue Montréal. Mme Paradis s’inspire du concept « daylighting », soit le fait de révéler à la lumière du jour des cours d’eau enfouis.
Dans le cas du ruisseau d’Outremont, « qui passe en plein milieu du parc Jarry, ce ne sera pas le concept du daylighting proprement dit — donc pas de réouverture ou de remise en lumière du cours d’eau, mais plus un réaménagement qui respecte le micro bassin versant du cours d’eau », renseigne-t-elle.
De par ses explications, « il y a des problèmes d’eau dans le parc. Des signes nous confirment que le ruisseau a été mal canalisé à l’époque », pense-t-elle. Donc cet nouvel aménagement du ruisseau pourrait « permettre une meilleure gestion de l’eau », soutient-elle avec conviction.
Ce projet dans le quartier Villeray à Montréal, est encore à l’étape de l’étude de faisabilité pour l’instant. Mais pour avoir une idée de villes où l’on peut voir ce concept, la chercheuse évoque notamment Cheonggyecheon, à Séoul, et The Saw Mill River, à New York.
Partagez sur