L’odonymie fait aujourd’hui partie intégrante du paysage urbain. Elle nous renseigne tout particulièrement sur les étapes qui ont marqué le développement d’une municipalité. À chaque numéro du journal d’Outremont, avec l’aimable collaboration de la Société d’histoire d’Outremont, nous retraçons l’histoire d’une rue d’Outremont.
Les renseignements ci-dessous sont tirés du Répertoire des rues d’Outremont et leurs histoires par Ludger Beauregard, une publication de la Société d’histoire d’Outremont (2015, 280 pages, reliure spirale). Il est possible de se procurer ce titre au montant de 25 $ en composant le 514 271-0959. histoireoutremont.org. |
Un curieux odonyme
D’où vient le curieux odonyme de l’avenue Davaar ? Il a fallu attendre longtemps avant d’en avoir une idée. Les procès-verbaux des assemblées du conseil municipal en changent d’abord la graphie passant de Devar en 1908, à Devaar en 1910 et, finalement, à Davaar en 1911. Auparavant, le cartographe, A.R. Pinsonneault, avait écrit Davard en 1907. Autant d’écritures révèlent l’ésotérime du nom dans le temps. Personne ne semblait en savoir l’origine, il y a encore une dizaine d’année, avant que j’entreprenne la rédaction du Répertoire des odonymes de la Ville d’Outremont, paru en 1997. Une piste s’est alors présentée à la suite d’une conférence au cours de laquelle j’avais souligné le problème. Un auditeur m’appelle quelque temps après pour me dire qu’il avait trouvé que Davaar était le nom que portait une petite île au large de l’Écosse. De fil en aiguille, j’en arrive à l’hypothèse que c’était probablement le docteur Duncan McEachran qui, après une visite aux pays de ses aïeux, une fois à la retraite, avait suggéré au lotisseur de sa propriété de donner le nom gaélique de cette île à la rue centrale du plan de lotissement. Le vétérinaire McEachran était né en 1861, à Campbeltown au fond d’une baie sur la côte orientale de l’Écosse à l’entrée de laquelle se trouve une petite île dotée d’une grotte touristique qui s’appelle Davaar, nom issu de la déformation de sa première appellation d’origine celtique. Il avait aussi donné le prénom de son épouse, Esther Plaskett, à une rue transversale, devenue Lajoie par la suite.
Le grand oublié
Au lieu de cet odonyme énigmatique sans rapport avec l’histoire locale, on aurait pu, en se donnant la peine de fouiller un peu l’historique du lot 38, trouver le nom d’un ancien propriétaire, qui a connu une existence extraordinaire et qui méritait de passer à la postérité. Il s’agit de Peter Warren Dease (1788-1863), qui a acquis le lot en 1829, y a vécu à partir de 1841 et y est décédé en 1863. Son corps repose au cimetière Mont-Royal. Né à Mackinac sur une île entre les grands lacs Huron et Michigan aux États-Unis, d’une mère iroquoise mariée à un médecin irlandais, il passe son enfance à Montréal, puis, à l’âge de 13 ans, s’engage dans une petite entreprise de traite de fourrures trafiquant au « pays indien », c’est-à-dire dans le nord-ouest de l’Amérique du Nord. En 1804, il passe à l’emploi de la Compagnie du Nord-Ouest, qui a son siège social à Montréal et, en 1821, il devient agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il est alors affecté au district de l’Athabasca, au fort Chipewyan. De 1824 à 1827, il participe à l’expédition de la terre arctique », dirigée par John Franklin. De 1827 à 1830, il est promu agent principal du district du Mackenzie avec quartier général au fort Good Hope, sur le grand fleuve du Nord-Ouest. Au printemps 1831, il prend la direction du district de la Nouvelle-Calédonie et va habiter au fort St.James, au lac Sturat, au cœur des montagnes Rocheuses, à la latitude de Prince-George et de Prince-Rupert. De là, il explore la rivière Finlay et se rend dans les Cassiars plus au nord, où il laisse son nom à une rivière et un lac comme il l’avait fait plus tôt au grand lac de l’Ours, où se trouvent la baie de Daese et la rivière Dease qui s’y jette.
En 1836, il prend le commandement de l’expédition d’exploration de l’Arctique, envoyée par la Compagnie de la Baie d’Hudson pour compléter les connaissances dejà acquises sur le passage du Nord-Ouest. Il est secondé par Thomas Simpson, chargé de l’arpentage et des recherches scientifiques. Parti de l’embouchure du Mackenzie, le 9 juillet 1837, le groupe se dirige vers l’ouest, sur mer et ensuite sur terre, jusqu’à la pointe de Barrow au 156°W (4 août). L’année suivante, il part du grand lac de l’Ours en remontant la rivière Dease pour atteindre l’embouchure de la rivière Coppermine sur la mer arctique, le 1er juillet 1838, mais les glaces le retiennent là pendant une semaine. Malgré le froid, l’expédition prend la mer vers l’est, double le cap Barrow le 29 juillet, mais doit s’arrêter le 9 août à cause des glaces. Simpson continue à pied et fait le relevé de la côte sur une centaine de milles et baptise l’île Victoria et le cap Pelley. De retour à la Coppermine au début de septembre, l’équipe rentre dans ses quartiers d’hiver au fort Confidence sur le grand lac de l’Ours. L’expédition de 1838 demeurait décevante à cause de la persistance des glaces sur la mer.
Le groupe repart l’été suivant dans la même direction. Le 28 juillet, il découvre le détroit entre l’île du Roi-Guillaume et la terre ferme, mais avant de prendre le chemin du retour n’arrive pas à reconnaître l’existence de la péninsule de Boothia. Il venait cependant de réaliser le plus long voyage jamais encore fait en bateau sur la mer arctique.
Pendant trois étés, Dease et Simpson avaient exploré la côte arctique aux dépens de la Compagnie de la Baie d’Hudson et avaient presque complété le relevé tant attendu du passage du Nord-Ouest. Après ces expéditions, Dease prend congé et se retrouve à la rivière Rouge au Manitoba, le 3 août 1840, où, déjà grand-père, il épouse Élisabeth Chouinard, la métisse qui avait été sa compagne et lui avait donné huit enfants. La famille s’établit, l’année suivante, à la côte Ste-Catherine, Peter Warren jouissant d’une pension que lui avait accordée la reine Victoria pour services rendus. Celui-ci y vécut une retraite confortable d’une vingtaine d’années, sous la gouverne, « de sa vieille métisse et de ses fils, elle tenant les cordons de la bourse, eux jetant l’argent par les fenêtres » (Dictionnaire biograpique du Canada, vol.9, p.216-219.)
Ne pensez-vous pas que l’avenue Davaar, un odonyme insignifiant, sans valeur commémorative, devrait être renommée avenue Peter-Warren-Dease en souvenir de cet explorateur nordique, qui a fini ses jours dans le bâtiment qu’occupe la mairie de notre arrondissement ?
Partagez sur