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Monsieur le maire,
Si je vous ai compris, dans le film Outremont et les hassidim (à partir de 2 minutes 45 secondes) vous reconnaissiez les conséquences fâcheuses des affrontements entre cette minorité religieuse et la majorité outremontaise composée d’adhérents de confessions autres et de non-croyants. Vos propos y intimaient l’intention de promouvoir la concorde entre les deux. Si je comprends notre milieu, la majorité y souhaite un régime de gouverne laïque, non par hostilité envers les hassidim mais par crainte que l’influence prépondérante de leurs têtes dirigeantes à l’hôtel d’arrondissement n’amoindrisse notre qualité de vie.
L’Outremont d’aujourd’hui est le fruit d’une histoire qui remonte à 1875. Son élégance et son charme particuliers ont pour assise, entre autres, des résidences d’une simplicité raffinée, l’harmonie des éléments du parc immobilier, la propreté des rues, la salubrité longtemps exemplaire des ruelles, etc. Hélas, un laisser-aller maintenant répandu et des dérogations arbitraires fréquentes, inexplicables autrement que par favoritisme clientéliste, l’effacent peu à peu. Ce charme s’alimente aux joies simples comme celle, l’été, de partager un repas entre amis en conversation tranquille à la table d’un excellent restaurant sur une terrasse de l’avenue Bernard, par exemple, comme celle aussi de fréquenter à longueur d’année des commerces de proximité pour s’approvisionner en produits de qualité avec, en prime, le sourire chaleureux d’une caissière.
Les Outremontais de longue date tiennent ardemment à cette élégance et ce charme. Hérités des générations passées, ils les entretiennent avec fierté et plaisir. Ceux arrivés plus récemment y tiennent autant. Pour la plupart, ils sont venus les chercher; ils s’évertuent donc aussi à les entretenir avec fierté et plaisir. Les uns comme les autres les voient disparaître avec tristesse.
L’agencement judicieux de règlements prudemment conçus et délicatement accordés a engendré et longtemps perpétué ces bienfaits; de génération en génération, le savoir-faire de dirigeants éclairés et adroits y a vu. En altérer négligemment l’équilibre ou ne pas adopter les modifications voulues pour le maintenir, au gré des circonstances, a des conséquences. Il faut de la perspicacité pour discerner les changements et du jugement pour en apprécier l’importance; il faut de la hardiesse pour circonscrire les dégâts de transformations préjudiciables.
Ce 8 juillet, suite à une entente à l’amiable (!) conclue sous la menace d’un procès et au mépris du résultat du référendum de novembre 2016, le Conseil d’arrondissement autorisa l’aménagement d’une nouvelle synagogue sur l’avenue Bernard en plein secteur de restauration. Si le projet va de l’avant, l’achalandage du lieu de culte sera considérable, surtout le sabbat des hassidim qui est une période de congé privilégiée par la majorité pour les sorties au restaurant.
Pour évaluer correctement les besoins cultuels des hassidim, n’eût-il pas fallu d’abord avoir en main l’inventaire, commandé le 2 mars, des synagogues dissimulées et au grand jour à Outremont et à sa périphérie? N’eût-il pas fallu identifier d’autres emplacements où, sans susciter d’objections, on eût pu localiser un temple pour servir adéquatement les hassidim? Peut-on sérieusement prétendre que leur religion en exige l’emplacement nulle part ailleurs qu’à l’angle de Bernard et Champagneur?
Le Huffpost du 5 février 2019 rapporte que, selon vous, « depuis plusieurs années, on vit dans un cercle de méfiance qui tombe dans le conflit, ce qui mène parfois à l’illégalité. Il faut ouvrir un dialogue […], trouver des solutions, des terrains d’entente, sur toutes sortes de problèmes qui peuvent survenir quand on parle de bon voisinage ». Si vos propos sont rapportés fidèlement, révélez-nous qui se laisse mener dans l’illégalité. Croyez-vous possible d’engager avec confiance le dialogue avec un vis-à-vis connu pour brandir la menace de procès quand on ne se rend pas à ses exigences? Toute troublante que soit votre reddition aux pressions de Place Bernard Inc., elle l’est moins que la menace à laquelle vous avez capitulé.
Il faut du courage pour se tenir debout. Un citoyen d’Outremont l’a illustré. Accusé faussement, il fut innocenté par les tribunaux pénal et civil. Il a été victime d’une longue intimidation judiciaire qui donne à penser que son adversaire cherchait moins un « accommodement raisonnable » qu’une victoire écrasante et humiliante en bâillonnant son blogue satirique. En passant, auriez-vous accordé l’autorisation d’aménager la nouvelle synagogue sur Bernard en compensation pour l’avortement de la cession projetée d’une parcelle de l’îlot Saint-Viateur, bien public, pour l’aménagement de ce lieu de culte? Je rejette d’avance toute accusation éventuelle d’antisémitisme. Quoiqu’enfant à l’époque de la Shoah, j’avais atteint un niveau de maturité suffisant pour en saisir la monstruosité. L’accusation en est très grave; lancée sans fondements, elle est dévastatrice pour la personne injustement visée.
Au Québec, il importe de tenir compte du contexte historique pour discuter sereinement et rationnellement de l’intervention d’autorités religieuses en matière civile. La domination de la hiérarchie catholique dans des domaines hors de sa compétence a longtemps nui à la qualité de notre vie et retardé notre progrès social et matériel. Il y a toutefois pire : cette domination a entravé ici le développement de l’esprit critique sans lequel la liberté de conscience ne saurait s’épanouir. L’esprit critique doit être cultivé; en éclairant la conscience, il la libère. La liberté de conscience informe toutes les autres libertés et constitue le socle du sens personnel des responsabilités. La vie durant, cet esprit et cette liberté illuminent les choix affectant le bien-être propre de chacun et celui du voisin. Nous vivons en société, non isolés. L’harmonie entre tous exige de chacun le respect du bien-être d’autrui.
Il a fallu la Révolution tranquille pour affranchir les Québécois d’un autoritarisme clérical peut-être bien intentionné, mais à coup sûr malsain. Pour se conformer à la charte qui enchâsse la liberté religieuse, faut-il dorénavant ranger son esprit critique et sa liberté de conscience, et se plier aux exigences d’autorités de confessions autres que la catholique? Parmi ces exigences, souvent contradictoires et absurdes, comment identifier celles auxquelles se soumettre?
Plus il est insistant, plus le zèle religieux tend à dissimuler de la charlatanerie. Depuis des années, les médias ne cessent de révéler les délits funestes de sinistres imposteurs. Les Tartuffes foisonnent dans toutes les confessions, aucune n’y échappe.
La concorde que vous affirmez vouloir promouvoir est naturellement préférable à la discorde que nous vivons depuis trop longtemps. Il semble toutefois que, dans les différends les opposant à la majorité, les têtes dirigeantes des hassidim se considèrent toujours dans le droit. Les revendications qu’ils défendent en invoquant la charte des droits et libertés n’en reposent pas moins en partie sur des dogmes et une tradition dont certains aspects échappent à l’examen rationnel. Leurs « victoires » à l’hôtel d’arrondissement et devant les tribunaux et, plus encore, leur mépris triomphaliste et leurs propos culpabilisants1 , aggravent la discorde.
J’ai pris soin de préciser têtes dirigeantes. Ce n’était peut-être pas l’intention du cinéaste, mais le film Outremont et les hassidim permet d’espérer que, en y mettant la patience et le tact, il sera possible de gagner à la raison de rares hassidim – je me souviens d’une femme et d’un homme en particulier – ouverts à l’amitié et accessibles à la bienveillance. Si les autorités civiques et judiciaires cessaient leur complaisance envers la déraison des chefs, à la longue, de telles exceptions pourraient devenir la norme.
Respectueusement,
Pierre Joncas
Auteur des Accommodements raisonnables entre Hérouxville et Outremont, Les PUL (Presses de l’Université Laval), Québec, 2009
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