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Selon Trafic d’influence sur Laurier Ouest( L’Express d’Outremontdu 16 juillet, p. 4), le Commissaire au lobbyisme aurait émis un blâme contre l’Association des commerçants de l’avenue Laurier Ouest. En avril 2014 un de ses membres, non encore inscrit au registre des lobbyistes, se serait entretenu informellement dans un café avec deux conseillères de l’arrondissement. L’accusation de «trafic d’influence» est grave et, à moins de preuves, irresponsable. Le blâme du Commissaire emploie-t-il cette expression? La trouve-t-on, ou l’équivalent, dans le texte du blâme? Si non, le titre est sans justification.
Le premier paragraphe de l’article de L’Express évoque une rencontre en catimini. Le Commissaire l’a-t-il qualifiée telle? Les mots seraient-ils de Maxime Dorais qui a déposé la plainte ou de la journaliste? Le petit Robert définit ainsi catimini: «En cachette, discrètement, secrètement». Dans un café? Au vu et au su d’autres convives? Tout inapproprié qu’ait pu être l’entretien (aux experts d’en juger), en catimini est, à tout le moins, exagéré.
Avant d’asséner des leçons de vertu à ceux qu’ils estiment leurs adversaires, les porte-parole de l’Association des piétons et cyclistes auraient avantage à examiner leur propre conscience, leur propre conduite. En fouillant l’Internet pour des renseignements, je n’ai trouvé rien de plus que des renvois à la Coalition vélo de Montréal/ Montreal Bike Coalition et leur page Facebook, où les messages reflètent un souci quasi exclusif pour les intérêts des cyclistes. C’est tout juste si on y évoque les piétons mis en péril par des automobilistes étourdis, négligents ou irresponsables, mais nulle part n’y mentionne-t-on des cyclistes du même acabit dont certains se permettent, entre autres manœuvres dangereuses et illégales, de rouler à toute allure sur les trottoirs. Les noms des membres du Conseil d’administration (ou autres représentants autorisés) de l’Association y brillent par leur absence et sont introuvables ailleurs. Il y a fort à parier que tous sont cyclistes. Si tel devait être le cas, prétendre représenter les piétons, aux intérêts distincts et parfois en conflit avec les leurs, serait de la fausse représentation, d’autant qu’un autre article de L’Express du 16 juillet (p.3), Améliorer les déplacements en vélo et à pied, accorde la part du lion aux revendications des cyclistes. On y cite surtout David McNeil, cofondateur de l’association, selon qui « nous devons avoir notre propre réseau à l’intérieur d’Outremont et établir davantage de connexions avec le réseau montréalais. […] Les cyclistes ont besoin entre autre de pistes sur le viaduc Rockland, sur Laurier ouest ainsi que des pistes qui feront la connexion avec différentes écoles ». Rien de moins! Et, y lit-on, la conseillère Mindy Pollak, présidente du nouveau comité de transport actif, « abonde dans le même sens ». Cette observation présagerait-elle déjà les recommandations du comité? Si oui, à quoi bon les consultations?
Ailleurs, apprend-on, «de janvier à juillet, en 2011, jusqu’à 2890 personnes par jour transitaient par la piste bidirectionnelle de Côte Ste-Catherine.» Si ce chiffre est juste, il s’agirait d’un maximum, non d’une moyenne, et il représenterait des traversées dont ne sont précisés ni le point de départ ni la destination. S’il s’agit d’allers-retours de cyclistes résidant tous à Outremont (environ 24 000 âmes), cela représenterait 6 p.c. de notre population, proportion invraisemblable. Selon le même article, l’association de monsieur McNeil compterait près de 300 abonnés. En fait, le 22 juillet, sa page Facebook affichait «273 mentions J’aime». Même si ces 273 amateurs sont d’Outremont, et on peut en douter, il s’agirait d’à peine 1,1 p.c. de notre population. Bref, tout bruyante soit-elle, l’association représente au plus un nombre infime d’Outremontais.
Toujours selon Améliorer les déplacements en vélo et à pied, l’École Nouvelle-Querbes serait la seule participante au programme À pied, en vélo, une ville active. Trottibus, pour enfants accompagnés à l’école à pied par des adultes auquel participe au moins l’École St-Germain, ne compterait donc pas?
J’ai lu plusieurs articles de teneur semblable dans les journaux gratuits offerts aux stations du métro. En réfléchissant à ce déluge d’informations (dont certaines trompeuses, d’autres incomplètes, et d’autres hors contexte) à la veille des délibérations du comité sur le transport actif, il est tentant de se demander si l’Association des piétons et cyclistes ne serait pas en pratique, et tout autant que l’Association des commerçants de Laurier Ouest, un lobby. Outre sa campagne de relations publiques, s’autoriserait-elle des démarches, formelles ou informelles, auprès des autorités et, si oui, quand se serait-elle inscrite au registre des lobbyistes?
Je me défends dès ici contre tout éventuel procès d’intention qui tenterait de m’inculper d’hostilité à l’endroit des cyclistes et du cyclisme. Outre le fait que Mathilde Blais, cette jeune femme écrasée tragiquement le 28 avril 2014, rue St-Denis, sous le viaduc des Carrières par un véhicule lourd, était une amie, je rêve du jour où l’obsession de l’instantanéité des déplacements cédera le pas à cette sagesse que Pierre Sansot nomme «bon usage de la lenteur». La mise en œuvre de cette sagesse est possible en milieu urbain, et les cyclistes y contribueront. Tout avisé, cependant, puisse être l’objectif du passage généralisé au transport actif et au transport collectif, il ne pourra être atteint du soir au lendemain: la manipulation par culpabilisation et la coercition par intimidation ne pourront que provoquer de la résistance et le retarder. Néanmoins, quels que soient les écarts de l’Association dite des piétons et cyclistes d’Outremont, et quel que soit le nombre de ses adhérents, les décisions politiques affectant – et les règlements régissant – les intérêts légitimes des cyclistes, membres et non membres, doivent être justes et raisonnables; cependant, ils doivent l’être tout autant à l’endroit de ceux des piétons, automobilistes, contribuables et commerçants, y compris ceux de l’avenue Laurier Ouest.
Si le vélo s’est implanté dans des contrées comme les Pays-Bas, les mobiles d’ordre géographique, historique et culturel y ayant contribué sont absents à Montréal. D’abord, le climat maritime de villes comme Amsterdam et Rotterdam n’y fait pas du vélo en hiver un sport extrême, ainsi qu’il l’est ici. Ensuite, en favorisant l’industrie automobile, la prospérité d’après-guerre en Amérique du Nord en a propagé ici l’usage généralisé. En Europe par contraste, et notamment aux Pays-Bas, les urgences étaient autres. Les infrastructures avaient été saccagées et la population appauvrie par six ans d’occupation nazie: l’automobile n’était donc pas au sommet des priorités. Enfin, chez les Néerlandais les conditions séculaires de survie d’une population dense, concentrée sur un territoire endigué constamment menacé par la mer, ont favorisé l’éclosion d’une culture terre à terre, ingénieuse, disciplinée, soucieuse d’autrui et du bien commun. En revanche, et bien que nous le déplorons trop peu, notre culture privilégie le laisser-aller, la recherche du plaisir et du confort personnels, et l’individualisme. Vu ces conditions particulières, comment s’étonner du succès durable du vélo comme véhicule de prédilection pour le déplacement personnel des Néerlandais? Et ne serait-il pas aberrant de ne pas prendre en compte leur absence à Montréal?
Seul le réchauffement de la planète, qui n’est pas à souhaiter, pourrait faire que le vélo cesse d’être ici un sport extrême en hiver. Si donc, tout en refusant la coercition et la manipulation, l’on tient à la mise en place chez nous d’infrastructures plus accueillantes au cyclisme pendant les belles saisons, il faudra recourir à la persuasion, se résoudre à y œuvrer avec patience, et adopter une stratégie et un discours respectueux des automobilistes et des piétons, stratégie et discours fondés sur l’appel à la raison et aux sentiments nobles. Le comportement devra s’y conformer. Si l’intégrisme cycliste et la mentalité jacobine qui l’alimente peuvent permettre des gains à court terme (et cela n’est pas certain), à la longue ils retarderont l’accès à l’objectif louable poursuivi.
Malgré, au mieux, un mince espoir de voir pris au sérieux mes propos, je recommanderais aux dirigeants de l’Association des piétons et cyclistes de manifester bonne foi et bonne volonté en reconnaissant leurs responsabilités et en se montrant disposés à les prendre en charge. Mais sur quoi se fondent ces responsabilités, et que sont-elles?
Outre les coûts de leurs vélos et des périphériques, certes les cyclistes s’acquittent des taxes imposées à tous les citoyens. Ils jouissent toutefois de l’usage exclusif d’infrastructures dont tous les contribuables défraient la construction et l’entretien coûteux. Bref, ils sont largement subventionnés. Contrairement aux automobilistes, ils ne sont tenus de se procurer ni immatriculation, ni permis de conduire, ni assurances. À Outremont, dans les années 1940 au moins, il fallait se procurer à l’Hôtel de Ville une plaque pour sa bicyclette: elle était ovale, mais j’en oublie le prix. Il y a donc un précédent. De plus, l’immatriculation permettrait d’identifier les fuyards coupables d’infractions ou responsables d’accidents. Pour le permis de conduire et les assurances, l’exigence serait nouvelle, encore qu’elle puisse être déjà de rigueur ailleurs. Mais serait-il déraisonnable pour autoriser le cycliste à emprunter la voie publique de lui demander, aussi, d’établir au préalable sa connaissance du code routier, sa compétence et sa maîtrise du guidon, et de souscrire à une assurance pour dédommager ses éventuelles victimes? N’en demande-t-on pas autant aux automobilistes? Égalité de droits pour les cyclistes, d’accord, mais à condition qu’ils reconnaissent les responsabilités correspondant à l’usage de leur véhicule et acceptent les obligations en découlant.
Ces éléments contextuels sont pertinents pour apprécier les enjeux de la piste cyclable envisagée pour l’avenue Laurier Ouest. Les citoyens d’Outremont sont en droit de se fier à leur Conseil pour adopter des mesures tenant compte des intérêts légitimes de tous. Heureusement, et contrairement à la démarche suivie sur le chemin de la Côte-Ste-Catherine lors de l’implantation de la piste cyclable isolée par un muret, les commerçants riverains seront consultés. Il ne s’agirait d’ailleurs, cette fois, que de marques peinturées sur la chaussée: inconvénients donc moins sérieux pour les riverains et frais moins onéreux pour les contribuables, mais inconvénients et frais malgré tout. Pourtant, avant même les résultats d’une étude et des consultations, l’Association des cyclistes s’oppose vigoureusement à envisager l’alternative d’une piste cyclable sur le boulevard St-Joseph. Le Conseil n’en a pas moins le devoir de refuser de se laisser intimider ou manipuler, et de prendre ses décisions en toute transparence à la suite d’une évaluation minutieuse des coûts et des inconvénients pour les marchands, les piétons et les automobilistes, d’une part, et pour les cyclistes de l’autre.
Il importe de garder en mémoire que le rôle de tout comité consultatif, y compris celui sur le transport actif, n’est pas décisionnel. La sagesse de ses recommandations sera à la hauteur de la compétence et de la probité de ses membres et de la qualité de leur travail. Imputables aux citoyens de leurs votes en Conseil, les élues ne sauraient légitimement se réfugier derrière le paravent de recommandations de quelque comité consultatif pour se justifier. Certes, le mandat de chacune lui a été confié à la lumière de ses engagements, mais aussi et autant de la confiance accordée à son discernement, son bon jugement et sa probité.
Pierre Joncas
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