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Comme mesure provisoire de santé publique pendant la pandémie de Covid-19, le gouvernement du Québec a décrété l’interdiction de rassemblements de plus de dix personnes dans les lieux de culte. Même si elle n’était pas défendable sur le plan scientifique, l’interdiction ne serait pas discriminatoire puisqu’elle vise également toutes les religions.

Le soir du vendredi 22 janvier, une centaine d’hommes et de garçons de la communauté hassidique skver, illégalement réunis à leur synagogue de l’avenue Durocher, ont forcé un cordon de police pour s’enfuir, certains lançant aux agents l’accusation « nazis ».
Le 29 janvier, la revue numérique The Conversation mettait en ligne « Hassidim et rassemblements illégaux : des pistes pour comprendre1 », signé Frédéric Dejean, professeur en sciences religieuses à l’UQÀM, et Valentina Gaddi, doctorante en sociologie à l’Université de Montréal. Onze mois auparavant, le 2 mars 2020, le maire Philipe Tomlinson avait annoncé leur embauche pour éclairer le Conseil d’Outremont sur la politique et les pratiques à adopter pour favoriser notre compréhension des Hassidim et améliorer nos relations intercommunautaires.
Ayant évoqué l’incident, Dejean et Gaddi mettent en garde leurs lecteurs contre la généralisation que tous les Hassidim ne respectent pas les consignes sanitaires et profèrent des insultes aux policiers. Certaines prières juives, expliquent-ils, sont collectives par nature : au moins une dizaine d’hommes doivent se rassembler pour les prononcer afin de les rendre agréables à Dieu. Ainsi, « renoncer […] à se retrouver pour la prière du Shabbat ne serait pas […] envisageable ». Tradition millénaire, la directive viendrait « directement de Dieu »; en conséquence, cette pratique « se poursuit […] même dans des situations extrêmes telles que l’Holocauste ». Dejean et Gaddi invoquent l’expertise de spécialistes du judaïsme orthodoxe cités par le Daily News (loin d’être le quotidien le plus fiable de New York) à l’effet que « le passage du présentiel au virtuel [met] à mal l’essence même de ce judaïsme ultra-orthodoxe ». Ils ajoutent : « Il y a là pour plusieurs observateurs de la vie publique une tension difficilement réconciliable entre le respect de la loi de Dieu et de la loi des hommes, la première l’emportant sur la seconde. » Tout en reconnaissant la difficulté pour une société laïque d’accepter la situation, ils laissent entendre que la question est mal posée et suggèrent un examen de la « supposée égalité » de tous devant les règlements pour limiter la pandémie.
Dans le but non pas d’engendrer « des aménagements spécifiques » mais de promouvoir une discussion féconde, Dejean et Gaddi notent l’opposition entre, d’une part, la responsabilité des autorités civiles d’adopter les mesures voulues pour contrer la propagation d’une pandémie et, d’autre part, la nécessité « de reconnaître la multiplicité des expériences personnelles et collectives qui ne sont pas toujours évidentes ». Voilà, résumé, l’article de Dejean et Gaddi. On trouvera en renvoi le lien vers leur texte pour permettre de juger si mon précis est fidèle. Cette question délicate de la plus haute importance justifie la précaution. À huit mois des élections, il importe de ne pas fausser le sens des propos d’auteurs dont les recommandations pourraient contribuer à fixer pour longtemps la nature de nos relations intercommunautaires. Le maire est fort de l’appui d’une majorité au Conseil, quoiqu’elle soit de plus en plus contestée. Les citoyens ont le droit d’être consultés et écoutés avant la prise de décisions difficilement révocables de nature à affecter en permanence la qualité de leur vie. En saine démocratie ce problème constituerait un enjeu électoral capital et sa solution exigerait un mandat clair.
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Mes pensées, maintenant.
Je conviens, sans la moindre réserve, avec Dejean et Gaddi du péril des généralisations. Leur illogisme vaut pour les hassidim, les autres juifs, les chrétiens, les musulmans, les agnostiques, les athées, etc. Il m’est impossible d’oublier la persécution de tous les juifs, ainsi que des gitans et des homosexuels, sous le régime nazi : la barbarie et les outrages de ce régime ne sont pas le propre du monde civilisé. Il était donc impératif pour celui-ci de tendre la main aux victimes de celui-là et de les accueillir afin de leur permettre de revivre dans la dignité.
Il est raisonnable de présumer de la sagesse des principes du monde civilisé, dont celui de la soumission aux exigences de la raison, et de la noblesse de ses valeurs, dont celle de traiter l’autre en égal à moins qu’une inconduite persistante de sa part ne l’en rende indigne mais, même dans cette circonstance, de ne jamais le persécuter. J’ose croire qu’à Outremont nous appartenons au monde civilisé.
Le deuxième commandement du décalogue proscrit le mensonge sous serment et le juron. Mais pour un juif comme pour un chrétien, le texte biblique (« Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur, ton Dieu, car le Seigneur n’acquitte pas celui qui prononce son nom à tort ») comporte une interdiction largement ignorée, mais bien plus grave : celle d’attribuer le sceau divin à des ordres purement humains. Si je l’ai bien compris, ce commandement interdirait l’usurpation du pouvoir de réglementation morale appartenant à l’Être Suprême par des autorités religieuses ou autres. N’exigerait-il donc pas aussi des détenteurs de l’autorité civile – chrétiens ou juifs – de refuser tout concours aux autorités religieuses, quelle qu’en soit la confession, qui pratiqueraient cette imposture?
Je ne sais pas si, à l’origine, l’exigence d’un minimum de dix hommes pour la prière du sabbat constituait une usurpation consciente de l’autorité divine : je préfère imaginer que son invocation aujourd’hui illustre l’acceptation naïve d’une tradition vénérée depuis la nuit des temps, jamais remise en question. L’Être humain est toutefois doué de raison; si c’est Dieu qui l’a créé, Il l’en a doté. Équipé de cette précieuse faculté, le sens de la responsabilité devrait l’inciter à y recourir, même quand cela réclame de l’effort, voire du courage.
Quand un virus transmissible d’une personne à l’autre propage une maladie mortifère, la raison, soumise aux exigences de l’évidence scientifique, accepte toutes les précautions nécessaires. Quel dieu sensé demanderait à ses fidèles de mettre en péril leur vie en se rassemblant pour le vénérer et risquer ainsi de compromettre une vénération qui lui est agréable? Quel dieu bienveillant envers ses fidèles exigerait d’eux qu’ils se rassemblent pour lui adresser une prière? Dejean et Gaddi, ai-je noté, laissent entendre qu’en soulevant des objections aux accommodements revendiqués par les hassidim au nom d’une « supposée égalité » de tous devant les règlements sanitaires, notre société pose mal la question. Ceci porte à craindre qu’à leur avis, le jour où la crise de la Covid-19 sera terminée, notre société posera la question de façon encore pire.
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L’Outremont où ma famille s’est installée en 1940 était aussi marqué par la diversité : anglophones et francophones en nombres grosso modo comparables, catholiques et protestants de même, et une population de confession juive non orthodoxe de taille moindre, mais suffisante pour justifier la synagogue Adath Israël, dont l’imposant édifice sert aujourd’hui à la communauté chrétienne maronite de Montréal sous le nom Saint-Antoine-le-Grand. À moins que ma mémoire ne me trompe, ces différentes communautés linguistiques et confessionnelles – enfant et adolescent, j’avais des copains dans chacune – se sont toujours voisinées dans la concorde et l’harmonie, chacune respectant les aspirations et les susceptibilités de celles l’ayant précédée sur ce territoire. Par contraste, si je m’en tiens aux propos souvent répétés par le maire Tomlinson et à ceux des universitaires Dejean et Gaddi dans leur article « Hassidim et rassemblements illégaux : des pistes pour comprendre », ce serait dorénavant à la société présente antérieurement à Outremont de se soumettre aux aspirations des communautés hassidiques nouvellement arrivées. Qui pose mal la question? Pierre Joncas
Auteur des Accommodements raisonnables entre Hérouxville et Outremont, Les PUL (Presses de l’Université Laval), Québec, 2009
1 https://theconversation.com/hassidim-et-rassemblements-illegaux-des-pistes-pour-comprendre-154018Partagez sur