Les Clercs de Saint-Viateur seraient sur le point de finaliser la vente de leur domaine sur l’avenue Querbes. Signe des temps et de l’irréversible baisse de l’engouement religieux propre à notre époque.
Ce fut d’abord la Congrégation des Sœurs de Marie-Réparatrice qui quittait le boulevard Mont-Royal, à Outremont, en 2003. Puis, les Sœurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie se départirent de leur maison-mère, également sur Mont-Royal, en 2016, après une mémorable saga. Enfin, les Sœurs missionnaires de l’Immaculée-Conception ont cédé leurs actifs immobiliers de la Côte-Sainte-Catherine. Des transactions toutes réalisées au profit de la reconversion en condominiums.
La communauté des Clercs de Saint-Viateur fut la première à s’installer à Outremont et la dernière à nous quitter. Une page importante de notre histoire se tourne, tant pour la valeur patrimoniale et historique des bâtiments, que pour la contribution de cette communauté au développement éducatif, social et religieux au cours du 20e siècle à Outremont. Nous en faisons ici un compte-rendu, documenté par des photos inédites que nous avons eu le privilège de capter lors de notre visite.
Le plus ancien édifice multi-étages d’Outremont
Le bâtiment austère de pierre grise domine encore le paysage de l’avenue Querbes, 124 ans après sa construction en 1896. En plus d’être l’aïeul des édifices à plusieurs étages dans l’arrondissement, c’est un des plus anciens bâtiments incluant les résidences privées. L’Étude Bisson1 qui portait notamment sur le patrimoine bâti d’Outremont, reconnaît la valeur historique et patrimoniale de l’édifice pour la rareté des ouvrages de ce type, construits avant 1900, et qui tiennent encore debout aujourd’hui. Une « bâtisse moins artistique que vaste et commode... aux lignes architecturales des plus sévères, flanquée de deux gros donjons, qui sans doute ne furent pas étrangers à la dénomination La Bastille que les malins, dès les débuts, s’empressèrent de lui décerner », peut-on lire dans le rapport de l’architecte Pierre-Richard Bisson.1
Une longue histoire
Les Clercs de Saint-Viateur sont à Outremont depuis 1887. C’est l’année où ils firent l’acquisition de la ferme Bouthillier-McDougall2 sur Côte-Sainte-Catherine pour y loger l’Institut des sourds-muets et y faire travailler les pensionnaires. Puis ils devinrent propriétaires d’un immense terrain de 200 arpents3 s’étendant vers le nord jusqu’à l’actuel Campus MIL de l’Université de Montréal. De ce fait, ils devenaient le plus important propriétaire terrien de la municipalité d’Outremont de l’époque. Prévoyant un intérêt décuplé pour le développement immobilier, le vaste terrain fut découpé en 693 lots qui ont progressivement trouvé preneurs jusqu’en 1907. Avec l’aval du plan d’urbanisme, la plupart de ces lots ont été convertis en duplex et triplex, ce qui a donné le coup d’envoi à un boom démographique sans précédent. La toponymie rappelle à notre mémoire ces pionniers, avec des noms de rue comme Champagneur, Lajoie, Ducharme, Querbes, de L’Épée et bien entendu Saint-Viateur, du nom de la communauté.
Les Clercs déménagèrent leurs pénates en 1896 dans un bâtiment tout neuf et beaucoup plus vaste, surnommé plus tard la Bastille, qu’ils ont fait construire. L’édifice faisait partie d’un domaine auquel on accédait par l’avenue Bloomfield. L’entrée principale a dû être réaménagée sur l’avenue Querbes pour céder le pas à la construction de l’Externat classique Saint-Viateur. Devenu exigu pour les besoins de la communauté, on construisit entre 1946 et 1948 une nouvelle aile au sud, la maison provinciale, pour combler les besoins des nombreuses activités et missions de la communauté. Entre les deux maisons et les reliant grâce à un corridor vitré, la chapelle de Marie Mère de Miséricorde qui est, à toutes fins pratiques, la même aujourd’hui.
Une contribution déterminante
La présence des Clercs a été importante sur le plan de l’éducation à Outremont avec la prise en charge des écoles primaires et secondaire dès le début : l’école Saint-Germain, l’école Querbes devenue Nouvelle-Querbes, l’Externat classique Saint-Viateur devenu l’école Paul-Gérin-Lajoie. Les enseignants étaient logés pour la plupart à la Bastille. Ils ont aussi présidé à la chaire des curés dans les trois paroisses d’Outremont durant des décennies de culte catholique intense. Rappelons que les offices du dimanche furent célébrés, de 1886 à 1904, dans la première chapelle, située à l’époque dans le bâtiment d’origine, au bénéfice des catholiques d’Outremont, alors que les églises que l’on connaît aujourd’hui étaient encore à l’état de projet.
La Bastille des Clercs de Saint-Viateur pouvait loger jusqu’à 30 résidants, la plupart étant des enseignants dans les écoles d’Outremont. Elle accueillait aussi des visiteurs d’autres régions et d’autres pays. Après la laïcisation de l’enseignement, la population de résidants a diminué de façon importante.
Les Clercs d’Outremont, aujourd’hui
Ils sont tout au plus 18, la grande majorité de plus de 75 ans, à habiter dans le bâtiment. Tous relativement actifs et en bonne santé, la plupart ont encore des tâches, parfois à l’extérieur, dans l’enseignement, le tutorat, la recherche ou le support aux personnes âgées. Les repas sont servis à heures fixes trois fois par jour, les midis et les soirs étant assurés par un cuisinier sur place. Le rituel de la prière avant les repas en communauté est encore de rigueur dans la petite chapelle faite de bois, de brique et de marbre, et dotée d’un orgue de bonne qualité, dit-on.
L’aménagement intérieur des lieux est d’une grande sobriété. Rien de superflu dans la décoration qui date des années 1950, après qu’un incendie eut ravagé en 1952 le dernier étage de la Bastille, ce qui a nécessité des rénovations dans tout le bâtiment.
Aujourd’hui, la maison provinciale a réduit considérablement ses activités au Québec et à l’étranger dont elle fut l’épicentre pendant des décennies. De plus, les nouvelles vocations sont rares, le dernier en lice à avoir rejoint les ordres et à y être encore, serait le père Robert Lachaine, curé de la paroisse Saint-Viateur, dont l’engagement date d’une trentaine d’années.
Après les communautés, les condos?
« Les besoins ne sont plus les mêmes ». Jean-Marc St-Jacques, économe des Clercs de Saint-Viateur du Canada, le confirme. La baisse des activités réduit la nécessité d’espaces qui coûtent cher en entretien. Aussi, plusieurs tâches que les Clercs exerçaient eux-mêmes à l’époque sont confiées à des agences extérieures pour lesquelles il faut débourser davantage.
Une offre de vente circule actuellement chez quelques promoteurs immobiliers versés dans ce marché très ciblé. L’entreprise élue devra démontrer une volonté de conserver au maximum l’intégrité du patrimoine bâti. Rien ne transpire du montant espéré par les Clercs de la transaction. À titre indicatif, la vente du couvent des Sœurs missionnaires de l’Immaculée-Conception avait était conclue à 11,3 millions en 2016 alors que celle des Soeurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie aurait atteint 29,5 millions. Les espoirs les plus optimistes sont donc permis, l’immobilier a le vent dans les voiles.
Selon Jean-Marc St-Jacques, la transaction sera conclue à certaines conditions, notamment celle de préserver l’intégrité de l’extérieur du bâtiment patrimonial de la Bastille. La chapelle pourrait également figurer parmi les valeurs à sauvegarder. On souhaite aussi que le paysage vu de l’avenue Querbes soit préservé et que la transaction ne se fasse pas au détriment des espaces verts actuels. Ce qui ne semblerait pas décourager les promoteurs sensibles à l’offre des Clercs face aux exigences vertes de l’arrondissement. On ne connaît pas aujourd’hui la nature de la reconversion des bâtiments mais l’histoire récente des transactions de ce type à Outremont favorisera probablement la reconversion en condos. Le père St-Jacques estime que le tout devrait être réglé d’ici la fin février 2021. Les Clercs de Saint-Viateur pourraient quitter Outremont dès l’été prochain et tourner la dernière page d’un grand livre d’histoire qui s’est déroulé sur 134 ans à Outremont.
1 Rapport de l’Étude Bisson sur Outremont et son patrimoine, réalisé pour le ministère de la Culture du Québec et de l’ancienne ville d’Outremont, 19932 La maison de ferme était sise à l’emplacement de l’actuel 221 McDougall
3 L’Annuaire d’Outremont 2013, Histoire, p. 12
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