La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre. Martha Wainwright n'y a pas échappé. La musique, c'est une affaire d'oxygène et de tribu tricotée serré. Soeur de Rufus, fille de Kate McGarrigle et de Loudon Wainwright III, tous d'incontournables stars, elle grandit dans un tourbillon à la fois fantaisiste et tumultueux, où elle cherche sa voie artistique. Citoyenne du monde, Outremont a été un port d'attache durant une grande partie de sa vie, et elle y réside encore. Elle vient de publier son autobiographie, un grand livre ouvert, des confidences intimes livrées avec confiance et simplicité. Elle nous a reçus à son café-spectacle Ursa, sur l'avenue du Parc. Elle nous a parlé de son livre mais aussi de sa vie à Outremont.
Avec beaucoup de minutie, moult détails et un humour libérateur, Rien de grave n'estencore arrivé nous raconte son histoire entre les folies de jeunesse et la sagesse de la fin trentaine. L'enfance entre New York où elle est née, Saint-Sauveur, la patrie des McGarrigle, Westmount « où nous étions un peu les moutons noirs » dit-elle en riant, et Outremont, port d'attache familial à partir de l'âge de15 ans. Elle raconte les légendes vivantes qu'elle a cotoyées, la quête de reconnaissance artistique, la faune bigarrée des bars de New York, les soirées dickensiennes au Royal Albert Hall de Londres, les tournées sur les grandes scènes mondiales, l'insécurité financière qui lui fera dire parfois: « je fantasme sur un job de caissière chez PA ». Des liens forts, parfois houleux mais jamais indifférents, avec les membres de sa famille. Et un pan d'histoire immense où elle accompagne Kate à la fin de sa vie à Outremont en même temps qu'elle côtoie la survie de son fils naissant, à Londres. Une histoire de passions racontée avec beaucoup d'amour.
Les McGarrigle-Wainwright à Outremont
La famille a habité quelques années sur l'avenue Durocher au début des années 1990. En 1994, Kate racle les fonds de tiroir pour acquérir un triplex sur la rue Querbes. C'est une grande fierté pour elle, nous dira Martha, de devenir propriétaire à Outremont. Ce sera la maison familiale, Martha, Rufus et Kate y auront chacun leur étage. C'est ici que cette dernière rendra son dernier souffle, 16 ans plus tard, en 2010. « Pourquoi êtes-vous restée à Outremont, alors que vous auriez pu vivre à New York ou à Londres ? » lui a-t-on demandé? « En 2010, j'ai hérité de la maison » que j'ai gardée pour la famille, et aussi en souvenir de Kate. C'est notre maison familiale » dit-elle, où elle voit un avenir pour ses fils, Arc, pour Arcangelo, et Francis, un étage chacun. La proximité du Mile End n'est pas pour déplaire aux amoureux de diversité.
La vie de quartier
Que ce soit pour des événements-bénéfice avec Rufus, Anna et Jane pour le Fonds Kate-McGarrigle sur la place du même nom, ou en solo sur la scène du Théâtre Outremont, Martha est une partie intime de la vie culturelle chez nous, dans notre quartier et ses environs. On l'a vue et entendue durant le confinement de 2020, sur les balcons et même sur quelques toits, chanter So long, Marianne de Leonard Cohen et Le cœur est un oiseaude Richard Desjardins. Une quinzaine de rendez-vous extérieurs avec invités, pour briser l'isolement. Les cantorshassidiques ont accepté son invitation, des voix magnifiques, dira-t-elle. Comme quoi, les frontières ne sont pas toujours infranchissables.
On la voit supporter avec générosité des causes comme celle des plus démunis avec Mission Mile-End, monter des projets avec des groupes culturels de chez nous comme les Casteliers et proposer une nouvelle scène pour la relève en musique et un lieu de rencontre culturel dans le Mile-End avec son café-spectacle Ursa. Un camp d'été culturel bilingue pour les 7 à 11 ans est en préparation pour la prochaine période estivale.
Martha sans frontières
On la voit cigarette au bec sur la page couverture de son livre, alors qu'elle ne fume plus. Provocante mais toujours inclusive vis-à-vis les attitudes et actions jugées « politically incorrect » qu'on vit chacun à nos heures. Son livre fait sauter les tabous sur les genres, les drogues, les dépendances de couple, les pratiques sexuelles, la concurrence dans les fratries, les femmes dans le show business. Elle est dans la lignée des McGarrigle qui ont toujours valorisé le bilinguisme, qu'elles ont intégré dans leur quotidien et leur vie professionnelle et considéré comme une richesse plutôt qu'une contrainte. Une denrée rare.
On lit les 270 pages de son autobiographie avec avidité. Et on la remercie de conclure son histoire avec un album d'une trentaine de photos, comme si on faisait partie de la famille. Quand on ferme le livre, on réalise à quel point le mot ensemble –together– est omniprésent dans son récit, dans ses chansons et donne un sens à sa vie.
Y aura-t-il une suite à Rien de grave n'est encore arrivé? Raconter son histoire, c'est un contrat d'écriture qu'elle a accepté il y a huit ans. Elle avoue à quel point ce fut difficile. Au fil du temps, c'est devenu un engagement personnel et un défi relevé avec brio – avec son amie Fanny Britt qui a fait la traduction en français. Une première dans la famille McGarrigle-Wainwright dont elle peut être fière.
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