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M. le maire,
C’est un devoir de votre fonction que de veiller à la concorde, la salubrité et l’aménagement esthétique notre arrondissement, ainsi que de défendre sa bonne réputation.
Avant même l’amoindrissement de notre statut de municipalité à arrondissement, nous souffrions d’affrontements fréquents entre notre minorité hassidique et notre majorité d’adhérents de confessions diverses – y compris le judaïsme – et de personnes sans appartenance religieuse. Depuis, les accrocs se multiplient et s’aggravent. Vous n’avez pas créé cette situation, vous en avez hérité. Récemment, vous vous disiez optimiste de voir réglé le problème dans l’harmonie.
Dans Le Devoir des 28-29 février 2020, Lise-Marie Gervais rapportait que, le 2 mars, le Conseil adopterait des mesures pour financer une cartographie des lieux de culte et une cartographie des espaces publics partagés, et qu’il créerait «une table de concertation pour ouvrir un dialogue sur la base des données recueillies». Ces initiatives suffiront-elles pour acheminer l’arrondissement à une harmonie durable? Pour dénouer la mésentente et résoudre les conflits qui en découlent, il faut identifier et dissiper les malentendus à leur source.
Dans le reportage de Mme Gervais, vous rappeliez «la nécessité de baser le dialogue sur des “faits”». À Outremont, une minorité hassidique de taille importante et croissante voisine une majorité longtemps établie. Je vous propose une analyse de la situation à partir de témoignages publics et de données observables.
L’émission Second Regard, diffusée le 24 novembre 2013, présentait Eliezer Frankforter, un rabbin de la communauté hassidique d’Outremont. Selon lui, le Hassid est à la recherche constante de Dieu avec l’enthousiasme d’un prospecteur dans la ruée vers l’or. «Dieu, la Torah et le peuple juif ne font qu’un, expliqua-t-il. On essaye de garder la pureté, la vérité qui nous a été transmise depuis le mont Sinaï». Il s’estimait gardien de cette vérité, investi du devoir de la préserver en protégeant sa communauté des influences corruptrices de l’extérieur. «On est quand même dans un pays avec des gens qui ont d’autres cultures. […] Donc, d’avoir vraiment une relation tout à fait hétérogène – on va tout partager, puis on va vivre comme tout le monde – c’est impossible, c’est inconcevable. Et on est obligés d’avoir […] une certaine attitude qui est: “OK. Nous on vous dérange pas, mais surtout ne nous dérangez pas”». Vu son implication dans la communauté, est-il déraisonnable de présumer que la voix du rabbin en décrit fidèlement la mentalité et les attitudes?
Au Conseil du 2 mars 2020, en réponse à ma question, vous vous êtes engagé à ne pas modifier le règlement de zonage pour les lieux de culte avant les prochaines élections sans l’aval préalable de l’ensemble de l’arrondissement. Après la clôture de la période des questions, vous avez exceptionnellement accordé la parole à Max Lieberman, un porte-parole de la communauté hassidique. Il assimila faussement ma question à une apologie de la démocratie directe. Selon lui, cette forme de gouvernance aurait obstrué la reconnaissance des droits des Noirs, des femmes et des LGBT. Cet amalgame des droits humains avec la réglementation du zonage cherchait à discréditer ma question et votre engagement. Pourtant, au référendum du 20 novembre 2016, ses coreligionnaires se sont mobilisés massivement pour faire révoquer le règlement interdisant les nouveaux lieux de culte dans la zone où se situe l’avenue Bernard.
Outremont a été la cible de propos encore plus choquants. En voici quelques exemples. Pour Joseph Farkas (Le Point, 4 mars 2004), la réglementation des circuits d’autobus interurbains et de leur circulation à Outremont présageait une nouvelle shoah. Le maire Stéphane Harbour s’en indigna et exprima l’espoir que des membres éminents de la communauté dénoncent ses propos (Le Point, 11 mars 2004), mais ce fut en vain. Au Conseil de novembre 2014, Robert Bixenspanner, ignorant les statistiques démographiques, soutint que les prétendues déconvenues des Hassidim étaient attribuables à l’afflux massif depuis 1960 de francophones à Outremont; il accusa certaines conseillères de vouloir «délibérément porter atteinte aux coutumes de la communauté hassidique». Au Conseil de janvier 2015, Joannie Tansky de Hampstead et Sharon Freedman de Côte-Saint-Luc se présentèrent au Conseil de notre arrondissement pour y tenir des propos outrageants au sujet d’un projet de règlement des souccahs. Mme Tansky attaqua le projet de règlement comme étant «the most restrictive law in the world against the Jewish people»; Mme Freedman proféra cette menace: «You will be around the world, you will be all over CNN, I would make sure it gets out there» (voir ma lettre du 3 mars 2015 au Journal d’Outremont à la page 6 de l’onglet Opinions). Si vous doutez de mes propos, vérifiez. D’ailleurs, croyez-vous que, comme l’a fait la mairesse Cinq-Mars pour ces citoyennes des municipalités défusionnées de Hampstead et Côte-Saint-Luc, leurs maires auraient accordé la parole à un résidant de notre arrondissement lors d’une assemblée de leurs Conseils? Qu’auriez-vous fait dans une telle situation?
Michel Lincourt, alors professeur d’architecture à l’École nationale supérieure des arts et industries de Strasbourg et professeur invité à l’INRS du Québec, décrit l’esprit du paysage urbain d’Outremont et la mentalité de ses résidants dans In Search of Elegance, ouvrage savant publié en 1999 par les presses universitaires McGill-Queen’s et celles de l’Université de Liverpool. Dans le septième chapitre, Outremont: A Convivial Elegance, le professeur Lincourt redresse, chiffres à l’appui, de fâcheux stéréotypes. Contrairement à l’assertion du prétendu documentaire Outremont et les Hassidim d’Eric Scott, nonobstant la présence ici de quelques millionnaires, notre quartier n’est pas «cossu». Certes, il héberge de nombreux professionnels, artistes, universitaires et personnages politiques connus. Sa caractéristique principale est toutefois le «charme discret» de sa bourgeoisie: un savoir-vivre axé sur une civilité chaleureuse, pudique mais dépourvue de puritanisme.
Dans son livre, le professeur Lincourt notait la convivialité de notre parc résidentiel et commercial révélé dans la tranquillité des rues, l’attention à l’entretien des demeures, l’ordonnancement avenant des commerces et l’accueil chaleureux du client. Selon lui, la complicité entre les citoyens et l’administration rendait Outremont exemplaire. Les autorités pouvaient compter sur le résidant pour planter des fleurs, soigner les arbres et les arbustes à la lisière de son terrain, cette lisière étant du domaine public. En retour, le résidant pouvait se fier aux autorités pour assurer le bon état du domaine public.
Une sérénité joyeuse favorisée par un milieu calme et propre contribue au «charme discret» que la majorité tient à préserver à Outremont. A-t-elle tort? Est-elle déraisonnable d’insister que s’en accommode une minorité qu’elle n’exclut pas, mais dont elle respecte le désir de ne pas être dérangée? Est-elle tenue d’acquiescer sans rien dire aux passe-droits que lui accordent les autorités sous forme de dérogations (qu’elle n’accorde pas à d’autres) aux règlements de zonage et de construction, même à l’encontre d’une recommandation unanime du CCU ? à leur laxisme dans la mise en vigueur des règlements de salubrité, de santé publique et de stationnement? Pour justifier ces passe-droits, les autorités invoquent l’obligation d’accommoder raisonnablement la liberté de religion. Pour réfuter ce prétexte, je m’inspirerai d’une réflexion judicieuse du juge Ian Binnie de la Cour suprême du Canada: l’obligation de respecter la liberté de religion doit servir de bouclier contre les atteintes de l’État, non d’épée pour mutiler les intérêts légitimes de tous au profit d’intérêts particuliers nuisibles à la communauté.
À Outremont, les façons de concevoir le bien commun de la majorité et de la minorité sont contradictoires. Voilà, monsieur le maire, une source importante de malentendus au cœur de nos affrontements. Si la table de concertation que vous assemblez entend travailler efficacement à les résoudre, elle devra décider laquelle de ces conceptions est juste; elle devra aussi s’appliquer à dissiper l’ignorance, les fausses perceptions et les préjugés immérités, blessants à l’endroit de la majorité d’Outremont.
Respectueusement,
Pierre Joncas
Auteur des Accommodements raisonnables entre Hérouxville et Outremont, Les PUL (Presses de l’Université Laval), Québec, 2009
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