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Malgré la mondialisation, peut-être même à cause d’elle en cette époque de turbulence, les attributs d’un milieu de vie en déterminent, pour l’essentiel, la qualité. Quand les habitants d’une agglomération de petite taille se concertent pour consolider, élargir ou affermir les assises de leur existence saine et agréable ou, en son absence, pour les établir, ils contribuent à la quiétude générale, au bien-être de chacun, et à la pérennisation d’un état heureux au profit de générations à venir.
Le rappel de cette évidence n’entend pas conforter l’indifférence envers une réalité plus éloignée (la ville, la province, le pays, et au-delà) sur laquelle l’individu n’a que peu d’influence; il vise au contraire à relever l’importance du tout près, à souligner la pertinence d’agir là où les effets de l’action personnelle seront palpables, là où les interventions de chacun contribueront au bien-être de tous.
Ce rappel se veut une incitation à agir sur place tout en réfléchissant à une échelle plus vaste. « Sur place », pour nous, c’est Outremont. Depuis mon enfance, j’y entends injustement accolée l’étiquette « snob ». Nous n’avons pas à rougir de son élégance : sa discrétion en est d’ailleurs un élément. Outremont n’a pas à se préoccuper de se faire remarquer. La simplicité et le sourire en sont des traits dominants. Les railleries ne peuvent ni dissimuler son charme, ni défigurer sa beauté, ni atténuer la joie d’y vivre. Pour pasticher Sacha Guitry, «si ceux qui en disent du mal savaient ce que nous pensons d’eux», ils en diraient bien davantage.
Parenthèse historique importante. En 2000, poussé par le maire Pierre Bourque alors que peu d’autres le réclamaient, le gouvernement Bouchard découpa Montréal en arrondissements et réduisit ainsi les municipalités autonomes de l’île, dont Outremont, les amputant ainsi de nombreuses compétences qu’il confia à la ville. « Une île, une ville ». Sans l’obsession de Pierre Bourque d’agrandir la sphère de son influence et de son autorité, nous aurions échappé à ce bouleversement inutile. En avril 2004, le gouvernement Charest ouvrit la porte à la défusion des anciennes municipalités, mais en l’assortissant de conditions strictes et coûteuses, et en appâtant les élus des municipalités qui s’en abstiendraient par des émoluments considérablement enrichis. Contrairement à ceux de Mont-Royal et de Westmount notamment, nos élus se laissèrent séduire et se gardèrent de nous encourager à signer le registre pour déclencher le processus : à peine nous en informèrent-ils! Le seuil de 10% des inscrits au rôle électoral n’ayant pas été atteint, Outremont ne regagna pas son statut perdu de municipalité. À l’évidence, sa fusion à Montréal n’y a ni accru l’efficacité des services, ni réduit les dépenses ou les taxes, bien au contraire.
Malgré la perte de compétences au profit de Montréal, malgré la fusion irréfléchie, malgré l’occasion de défusion sabotée par nos élus, dans l’esprit d’un grand nombre, sinon la majorité, de nos habitants, Outremont n’en demeure pas moins un village distinct. L’aliénation au profit de la ville de compétences critiques condamne-t-il ce village à perdre son « âme »? Dans les nouvelles conditions, cette « âme » peut-elle survivre intacte? Est-ce souhaitable? Que préserver? Comment nous y prendre?
Si l’« âme » d’une personne est difficile à saisir, celle d’une collectivité l’est encore davantage. Pour les fins de cette analyse, j’emprunterai la première définition du Petit Robert (2019) de ce qui anime un groupe, soit l’ensemble des états de conscience communs à ses membres. Comme environ 25 000 personnes peuplent Outremont, l’existence d’états de conscience communs à toutes est improbable. Je procéderai donc indirectement par recours à ce qu’en révèlent le bâti et la façon de vivre des résidants. Méthode approximative, mais je n’en connais pas de moins sujette à caution, ni ne puis-je en imaginer de moins imparfaite.
Dans le chapitre intitulé « Outremont: A Convivial Elegance » de son étude In Search of Elegance, Michel Lincourt retient, pour dépeindre notre bâti, l’aspect amène du parc résidentiel, la tranquillité des rues, l’attention à l’entretien des demeures; il note l’empressement des résidants à embellir leur terrain et le domaine public l’avoisinant : ils y plantent des fleurs, y soignent les arbres et les arbustes, etc. L’auteur fait état de l’accueil chaleureux du client dans les commerces. Bien qu’il n’en fasse pas mention, qui ne se rappelle pas que, jusqu’à récemment, les riverains veillaient tous à la propreté et la salubrité de l’entourage de leur propriété? La rue et la ruelle n’y étaient nulle part jonchées de détritus et d’ordures. Il ne l’a pas évoqué non plus, mais j’ai maintes fois remarqué l’affabilité des voisins les uns envers les autres, la civilité des rencontres entre inconnus qui, à la répétition, se transforme en courtoisie, puis en prévenance, et parfois même en amitié. Je ne me souviens pas d’avoir connu un autre endroit où, sans importuner dans un restaurant, on peut adresser la parole à la table voisine et en recevoir une réponse agréable sans être envahissante. Bref, l’« âme » d’Outremont c’est peut-être le « charme discret » de sa bourgeoisie, pour reprendre l’expression que Lincourt emprunte à Luis Buñuel : ceux qui, comme moi, perçoivent ainsi cette âme et y sont attachés, désireront la voir sauvée.
N’est-il donc pas souhaitable de préserver cet heureux état, de sauvegarder l’intégrité de l’âme précieuse d’Outremont? Pour y parvenir, il faut en être conscient collectivement aussi bien qu’individuellement; il nous faudra, ensemble, en reconnaître les éléments concrets et prendre l’habitude de les alimenter de cette attention affectueuse qui les sustente.
Cependant, notre attention est de plus en plus captivée par les médias de masse qui s’intéressent avant tout aux nouvelles dont le caractère accrocheur agrippe l’attention et assure la rentabilité commerciale, et par les médias sociaux dont les participants sont intéressés et souvent guidés par un ordre du jour dissimulé. Si, comme j’ai essayé de le montrer plus haut, notre bien-être dépend largement – largement, pas uniquement – de ce qui se passe tout près, ne serait-il pas sage d’en prendre connaissance avec autant de soin?
D’où l’importance immense, mais pas toujours appréciée, pour la qualité de notre vie d’une presse locale consciencieuse et compétente pour nous informer des actualités économiques et sociales – réjouissance à l’ouverture de nouveaux commerces, deuil à la fermeture d’anciens, restauration, activités culturelles, etc. –, mais presse locale non partisane pour rapporter objectivement la réalité politique, pour accepter dans ses pages ou son espace électronique, selon le cas, l’expression respectueuse de points de vue divergents.
Seule l’indépendance financière d’une presse locale peut en assurer l’objectivité, l’utilité et la survie. Cette indépendance nécessaire n’est toutefois pas suffisante. Dans un marché de taille modeste comme Outremont, si des citoyens en nombre suffisant ne s’impliquent pas financièrement et activement par une surveillance exigeante et bienveillante, cette presse locale, si nécessaire à notre bien-être collectif et individuel, périra. Entendra-t-on cet appel?
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Commentaires
avec grande finesse en parlant de l'âme d'Outremont.