Morale à deux vitesses
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- Publication : 23 septembre 2020
- Par M. Pierre Lacerte
« En 2020, qu’un élu à Montréal se mette aussi facilement et ouvertement en conflit d’intérêts, je trouve ça inexcusable. » C’est en ces termes prétendument indignés que le maire Tomlinson s’est prononcé sur la réprimande que la Commission municipale du Québec (CMQ) a adressée à Jean-Marc Corbeil, le seul conseiller d’opposition à Outremont.
Pour le premier magistrat de l’arrondissement, il est «abracadabrant» qu’un conseiller de district use de son droit de vote dans un dossier alors qu'il est poursuivi aux petites créances par le locataire d’un restaurant de la rue Van Horne. Ce dernier lui reproche d’avoir dit à un ouvrier sur le chantier qu’il fallait au propriétaire de l’immeuble un permis pour entreprendre des travaux dans le restaurant.
Malgré le fait qu’au moment où le conseiller est intervenu, aucun permis n’avait été délivré le restaurateur lui réclame 14 600 $ pour «préjudice subi», alléguant que cela avait entraîné un retard dans l'occupation du local.
Subséquemment, le local a fait l’objet d'une demande d'un plan d'implantation architecturale (PIIA) pour l'installation d'une porte donnant sur la terrasse. Mais comme la porte avait déjà été installée illégalement et que les plans définitifs n'étaient toujours pas disponibles au moment où le conseil a étudié la question, Jean-Marc Corbeil a demandé à repousser le vote au motif d'irrégularités dans le dossier. C’est à ce moment-là que l’on a accusé le conseiller de conflit d'intérêt, ce que le juge Roy de la CMQ s'affaire à reconnaître dans son jugement.
Saisissant cette opportunité, le maire demande à cor et à cri des mesures draconiennes et un châtiment exemplaire contre son opposant politique.
Par contre, quand Valérie Plante est poursuivie pour 175 M$ par des promoteurs qui s’estiment lésés par son projet du Grand parc de l’Ouest, Philipe Tomlinson ne crie pas «Au meurtre!». Il n’a apparemment aucun problème à ce que la mairesse de Montréal vote à quatre reprises dans ce dossier où elle est accusée d’avoir agi «de façon illicite, arbitraire et de manière préjudiciable». Deux poids, deux mesures?
Entendons-nous. Il va de soi qu’en situations réelles de conflit d’intérêts un élu doit se retirer et s’abstenir de voter sur la question litigieuse. Mais, est-ce à dire que pour le neutraliser, il suffit de lui coller n’importe quelle poursuite farfelue sur le dos? À ce compte-là, c’est la démocratie qui s’écroule et l’intimidation qui fait loi! Ce n’est quand même pas pour rien que l’article 12 du Code d’éthique des membres du conseil stipule qu’un conseiller placé «contre sa volonté dans une situation de conflit d’intérêts n’enfreint pas le présent code». C’est bien ce qui semble être arrivé à Jean-Marc Corbeil qui vient d’obtenir de la Cour supérieure que la suspension de 45 jours que lui a imposée la CMQ soit reportée jusqu’à ce qu’un juge détermine si la CMQ a excédé sa compétence ou si la procédure contre Corbeil a été entachée de quelque irrégularité grave.
Par ailleurs, au procès que Corbeil devant la CMQ, le directeur de cabinet de Philipe Tomlinson, Joël Simard-Ménard nous a appris avoir lui-même recommandé au commerçant de poursuivre le conseiller de l’opposition. Si le directeur de cabinet de Tomlinson n’avait pas encouragé le commerçant à se retourner contre Corbeil, ce dernier n’aurait vraisemblablement jamais été entraîné dans une telle histoire.
Dire que juste avant cette saga très coûteuse en deniers publics, notre maire s’était fait taper sur les doigts par le contrôleur général de la Ville de Montréal pour avoir violé se règles. Tomlinson avait indûment délégué à la directrice de l’administration le soin de confier des dizaines de milliers de dollars de fonds d'urgence à des OBNL sur les CA desquels siégeaient des membres de l’exécutif de son parti. Remarquez que le 8 juillet 2020 cela n’a pas empêché Philipe Tomlinson de répéter devant caméra que s’il le fallait, il serait prêt à commettre à nouveau cette illégalité. Bref, lynx envers ses adversaires, notre maire est taupe envers lui-même et les siens!
Pierre Lacerte